Les connaissances sur l’effet placebo et son contraire, l’effet nocebo, se sont radicalement modifiées ces dernières décennies. Leur efficacité fait même l’objet d’études cliniques. Certaines situations ou profils de patients sont plus réceptifs à leur action. Quelle place ont-ils ou pourraient-ils trouver dans la pratique médicale ?

Daniel Annequin
Psychiatre, anciennement anesthésiste ; fondateur du centre de référence de la douleur et de la migraine de l’hôpital Trousseau*, Paris, France ; responsable médical du 2e Plan national de lutte contre la douleur  (2002-2005)

«Le placebo est un produit inerte sans effet pharmacologique, il repose sur un mensonge, une réponse positive au placebo signe une fragilité psychologique et permet de démasquer les faux malades. » Depuis plus de cinquante ans, ces représentations peu glorieuses ont forgé les convictions d’une grande majorité de médecins, de soignants et de l’opinion publique. Or de solides études publiées durant les vingt dernières années dans les revues les plus prestigieuses2,3 ont invalidé ces idées fausses.
Les effets placebo et nocebo sont les deux faces d’un même processus, ils constituent les conséquences pour le patient sur son état de santé de ses attentes positives (« j’espère aller mieux ») ou négatives (« je risque d’aller plus mal »). Ces deux effets peuvent s’observer dans les activités de soins quotidiennes, les essais cliniques mais aussi expérimentalement, sur des volontaires sains.

Une définition élargie du placebo

« Une substance sans effet pharmacologique présentée comme un médicament » ; cette définition apparaît désormais largement insuffisante.4 Le placebo n’est en effet pas une substance isolée ; il est associé à de nombreux autres éléments qui accompagnent son administration : les mots, le contexte, la relation avec le soignant, les espoirs, la confiance, les craintes du patient et du médecin définissent un contexte psychosocial spécifique. La définition doit donc inclure cet ensemble constituant le rituel de l’acte thérapeutique.3 Et on distingue alors le placebo « pur » (inerte et neutre) du placebo « impur » (encadré 1).5

Effet nocebo, des effets indésirables malgré de bonnes intentions

L’aggravation paradoxale de l’état du patient par un effet nocebo ou l’apparition d’effets indésirables (EI) sont observées très souvent après prescription de toutes sortes de moyens thérapeutiques. Cette évidence, longtemps ignorée, apparaît après analyse du groupe pla­-cebo des essais cliniques : beaucoup de ces patients développent les EI qui leur avaient été décrits lors de l’inclusion. Une méta-analyse incluant 45 380 participants à un essai de vaccin contre le Covid-19 a montré que les groupes recevant le placebo ont développé massivement une « réponse nocebo » après la première dose (35,2 %) et après la seconde (31,8 %).6 Les groupes placebo de 73 études sur les traitements de crise de migraine ont également développé les EI annoncés initialement.7 La manière de présenter les effets indésirables d’un médicament est ainsi un élément essentiel.8
En dehors des essais cliniques, l’effet nocebo est aussi très fréquent dans la pratique quotidienne. Il est source d’arrêts thérapeutiques injustifiés. Les causes sont souvent liées au manque de neutralité du soignant (encadré 2) : la mauvaise tolérance est fréquemment due à une prescription médicamenteuse anxiogène ou à un manque de confiance envers le médecin.2

Quelles situations sont propices ?

Les domaines privilégiés d’expression de l’effet placebo concernent les troubles et symptômes subjectifs impliquant le système nerveux, mais aussi les pathologies où le stress et l’anxiété sont très prégnants. La douleur,9 les troubles psychiatriques10 apparaissent ainsi les plus concernés. Sur 232 essais contrôlés incluant 73 388 patients présentant des dépressions sévères, seulement 15 % d’entre eux ont bénéficié d’un effet antidépresseur substantiel au-delà d’un effet placebo.11
Le médecin de première ligne est confronté quotidiennement à des demandes susceptibles de répondre favorablement au placebo : troubles du sommeil, anxiété, troubles digestifs… Les taux de réponses positives au placebo dans de nombreuses études randomisées sont très pro-ches et parfois supérieurs à ceux du médicament testé.3 Fabrizio Bene­detti, neuroscientifique turinois, a largement exploré les effets nocebo et placebo sur des volontaires sains. Ses études sur l’hypoxie d’altitude,12 réalisées à plus de 4 000 m sont très impressionnantes : l’organisme humain peut ainsi s’adapter à des situations extrêmes où le taux d’oxygène est diminué d’au moins 40 %. Après une inhalation d’oxygène initiale puis des inhalations de placebo (air ambiant présenté comme de l’oxygène), les marqueurs de l’hypoxie, la tachycardie, les céphalées, la fatigue, le débit cardiaque, le taux de prostaglandines s’améliorent significativement.
En situation clinique, les scores de douleur postopératoire augmentent significativement quand le patient est faussement informé que le traitement antalgique était interrompu alors qu’il continue de recevoir le produit aux mêmes doses ; de même, les patients ne sachant pas qu’ils bénéficient d’un antalgique actif (perfusion cachée d’opiacé) ont des niveaux de douleur augmentés de 20 à 30 %.20 Ces études suggèrent que les effets placebo et nocebo sont très présents dans nos pratiques thérapeutiques quotidiennes ; ils participeraient pour 20 à 30 % de l’efficacité ou de l’inefficacité des traitements antalgiques !

Les enfants sont plus réceptifs à l’effet placebo

Les réponses au placebo apparaissent plus importantes chez l’enfant en général,13 et tout particulièrement en cas de troubles psychiatriques14 ou de troubles obsessionnels (31 % de succès avec le placebo), dans les troubles anxieux (39,6 %) et dans la dépression sévère (49,6 %). La suggestibilité de l’enfant apparaît plus grande que celle de l’adulte.15 Dans les douleurs abdominales fonctionnelles,16 les résultats de 21 essais randomisés contrôlés ont montré une franche amélioration avec le placebo chez 41 % des sujets.

La Revue du Praticien Vol. 73 _ Octobre 2023
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