Rémy Amouroux – Psychologue Unité Fonctionnelle d’Analgésie Pédiatrique – Hôpital d’enfants Armand Trousseau, Paris
Didier Cohen-Salmon – Anesthésiste DAR Hôpital d’enfants Armand Trousseau, Paris

L’adénoïdectomie et la pose d’aérateurs trans-tympaniques comptent, en France, parmi les interventions chirurgicales les plus fréquentes chez l’enfant. Elles sont couramment pratiquées en hospitalisation de jour. L’essentiel des suites opératoires se passe au domicile, hors de la surveillance des équipes soignantes. De ce fait nous disposons de très peu de renseignements sur les suites opératoires, tant en ce qui concerne la douleur post-opératoire que sur le comportement de l’enfant et le retentissement de l’intervention. L’extension rapide de la chirurgie pédiatrique en hospitalisation de jour engendre de nouveaux problèmes de prise en charge de la douleur de l’enfant au domicile, celle-ci se révélant souvent inadéquate (1). Après une hospitalisation de jour pour intervention chirurgicale chez l’enfant des changements du comportement de l’enfant sont fréquemment notés. Leur fréquence est très variable, allant de 28 à 88% des enfants selon les études (2). Cette étude prospective a pour but d’évaluer la prise en charge de la douleur post-opératoire après adénoãdectomie et/ou pose d’aérateurs transtympaniques, ainsi que les éventuels changements comportementaux de l’enfant dans les suites opératoires.

POPULATION
Trente et un enfants âgés de 2 à 12 ans, tous classés ASA 1 ou 2 ont été étudiés consécutivement sur une période de 5 mois.

Sexe : 14 filles, 17 garçons.
Age moyen : 4.8 ans ( +/- 3.0 ans ; médiane : 4.2 ans ).
Poids moyen : 20.1 Kg ( +/- 9.2 kg ; médiane : 18 kg ).

Dix-huit enfants ( 58.1% ) n’avaient pas d’expérience chirurgicale préalable. Quinze d’entre eux (48.4%) ont subi une adénoïdectomie (VG). Dix enfants, soit 32.3% ont eu une pose d’aérateur trans-tympanique (ATT), et six (19.4%) ont subi une adénoïdectomie et une pose d’aérateurs(VG-ATT).

METHODE
Protocole anesthésique
Tous les enfants avaient été vus en consultation pré-anesthésique. Au cours de celle-ci des explications avaient été données aux parents et à l’enfant. Celui-ci avait pu essayer le masque d’anesthésie et avait reçu le livret de préparation “Je vais me faire opérer-Alors on va t’endormir”. La prémédication comprenait du midazolam (0,5 mg/kg) par voie rectale trente
Site Internet : www.pediadol.org
minutes avant l’heure prévue de l’anesthésie. L’anesthésie a été induite par le sévoflurane au masque à la concentration de 6% dans un mélange oxygène-protoxyde d’azote à 50%. Vingt-cinq enfants ont été intubés (80.6%).

Prescriptions antalgiques
L’analgésie postopératoire comprenait du paracétamol administré pendant l’anesthésie, soit sous forme de Prodafalgan( par voie veineuse à la dose de 30mg/kg (90.3%), soit par voie rectale (9.7%) à la dose de 15mg/kg.

Analgésie postopératoire Patients Pourcentage
Prodafalgan®  voie IV 28 90.3%
Paracétamol voie rectale 3 9.7%

En cas d’efficacité clinique insuffisante, le Nubain (35.5%) et la morphine (6.5%) ont été utilisés comme antalgiques de relais en salle de surveillance post-interventionnelle.

Antalgique de relais Patients Pourcentage
Nubain® 11 35.5%
Morphine 2 6.5%
Rien 18 58%

Evaluation de la douleur
La douleur post-opératoire a été évaluée en utilisant une version modifiée de l’échelle OPS (Objective Pain Scale) comprenant quatre items : pleurs, mouvements, comportement et expression de la douleur. Les enfants ont été évalués à trois reprises, à la sortie du bloc opératoire, à la sortie de la salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI), et enfin à la sortie de l’hôpital.

Evaluation des troubles comportementaux
La recherche de modifications du comportement de l’enfant a été faite à l’aide d’une version simplifiée de l’échelle PBHQ (Post-Hospital Behaviour Questionnaire) de Vernon et Schulmann (3).
Ce questionnaire évalue à l’aide de questions ciblées dans quelle mesure le comportement de l’enfant à été modifié par rapport à l’habitude au niveau de la sollicitation parentale, du tempérament, des réveils nocturnes, de l’alimentation, des frayeurs, des cauchemars et de l’endormissement ).

Post-Hospital Behaviour Questionnaire
Depuis sa sortie de l’hôpital :
  • Est-ce que votre enfant cherche à ce que vous vous occupiez de lui ?
  • Est-ce qu’il (ou elle) a un tempérament coléreux ?
  • Est-ce qu’il (ou elle) se réveille la nuit ?
  • Est-ce qu’il (ou elle) a des difficultés pour manger ?
  • Est-ce que votre enfant vous a semblé effrayé ?
  • Est-ce qu’il (ou elle) a fait des cauchemars ou des mauvais rêves ?
  • Est-ce que votre enfant a besoin d’aide pour dormir ?

Dans ce but les parents ont été contactés téléphoniquement à deux reprises, le lendemain de l’intervention et au septième jour. Une partie de cet entretien téléphonique était libre, afin de recueillir des données pour une analyse qualitative.

Les deux évaluations (OPS et PBHQ) ont été pratiquées par la màme personne non impliquée dans la prise en charge des enfants opérés.

RESULTATS
Scores OPS

Score OPS lors de la première évaluation (sortie bloc opératoire)= 2.5 (+/- 2.9 médiane=2.0).
Score OPS lors de la deuxième évaluation (sortie salle de réveil)= 1.5 ( +/- 2.1 médiane= 0).
Score OPS lors de la troisième évaluation (sortie hôpital)= 0.4 (+/- 0.8 ; médiane= 0

OPS1 Sortie bloc 2.5 / 8
OPS2 Sortie salle de réveil 1.5 / 8
OPS3 Sortie hôpital 0.4 / 8

Il existe une différence statistiquement significative (p=0.03) pour le score OPS1 entre d’une part les groupes VG et VG-ATT réunis (OPS1 = 3.667 ; +/- 2.904 ; médiane = 4) et d’autre part le groupe ATT (OPS = 0.2 ; +/- 0.632 ; médiane = 0). Ces différences ne sont pas significatives pour les deux autres évaluations OPS.

Scores PBHQ
A 24 heures on met en évidence chez 87.1% l’existence d’au moins un trouble comportemental ; d’au moins deux chez 58% ; d’au moins trois chez 19.35%. A 7 jours on retrouve encore chez 54.8% l’existence d’au moins un trouble comportemental ; d’au moins deux chez 12.9% ; d’au moins trois chez 6.5%. L’alimentation (45.2%), le tempérament (41.9%) et les sollicitations parentales (38.7%) sont les trois items qui ressortent 24 heures après l’hospitalisation.

A sept jours les troubles de l’alimentation s’atténuent (6.5%), cependant 29% des parents observent toujours chez leur enfant des modifications du tempérament, et 19.4% des parents rapportent que leur enfant continue de les solliciter plus qu’à l’ordinaire.

A 24 heures A 7 jours
Sollicitation 38.7% 19.4%
Tempérament 41.9% 29%
Réveil nocturne 16.1% 3.2%
Alimentation 45.2% 6.5%
Frayeur 9.7%  3.2%
Cauchemar 6.5% 3.2%
Endormissement 16.1% 9.7%

Il existe une différence statistiquement significative (p=0.046) pour les sollicitations parentales à 24 heures, entre d’une part les groupes VG et VG-ATT réunis (52.4%) et d’autre part le groupe ATT (10%). Ce résultat peut cependant àtre partiellement expliqué par une différence d’âge significative (p=0.04) entre les deux groupes : 4.06 ans en moyenne pour le groupe VG et VG-ATT, contre 6.4 ans en moyenne pour le groupe ATT. Il faut noter qu’il existe une différence, non significative probablement du fait de la faiblesse des effectifs, entre ces màmes groupes pour l’alimentation à 24 heures. Des troubles alimentaires sont cités à 24 heures chez 52.4% des enfants du groupe VG-ATT et VG, contre 30% du groupe ATT.

DISCUSSION
Cette étude montre l’existence d’une douleur post-opératoire évaluée par le score OPS dans les premières heures après adénoïdectomie associée ou non à une pose d’aérateurs transtympanique (ATT), ou après pose d’aérateur seule. La douleur immédiate est significativement plus intense quand le geste opératoire comprend une adénoïdectomie. Un score OPS supérieur à 2 est considéré comme une indication de prescription antalgique, qui dans cette étude est systématique. La prise en charge antalgique apparaåt satisfaisante pendant la période d’étude : la décroissance des scores de douleur est rapide et les enfants quittent l’hôpital avec des scores quasi nuls. Le paracetamol administré chez tous les enfants se révèle insuffisant chez plus de la moitié d’entre eux, qui doivent recevoir un morphinique en SSPI.

Cela ne permet pas cependant de préjuger de la qualité de l’analgésie après le retour de l’enfant au domicile. L’étude n’apporte pas de renseignement sur la douleur post-opératoire après l’hospitalisation ni sur la prise d’antalgiques au domicile. La douleur évaluée pendant l’hospitalisation est la douleur de repos. Après intervention sur la zone orale il existe également une douleur à la déglutition, plus intense et plus durable que la douleur de repos (4). Etudiant un collectif de 551 enfants opérés en hospitalisations de jour, dont 255 adénoïdectomies et 130 poses d’ATT, Kotiniemi trouve à J1 une douleur modérée chez respectivement 55% et 10% des opérés. Dans l’étude de Nikanne (4) la douleur modérée évaluée pendant l’hospitalisation de jour n’était pas prédictive de la douleur au domicile, évaluée comme sévère chez 20% des enfants. Un faible score de douleur à la sortie de l’hospitalisation de jour ne permet donc pas d’exclure l’existence d’une douleur apparaissant ultérieurement dans les suites opératoires au domicile. On ne peut exclure non plus un effet résiduel des produits anesthésiques masquant la douleur pendant les premières heures. Ainsi la forte incidence de troubles de l’alimentation à 24 heures pourrait représenter, au moins pour partie, le reflet indirect d’une douleur réapparaissant à la reprise de l’alimentation.

Les troubles comportementaux
Des troubles comportementaux sont rapportés par les parents chez un grand nombre d’enfants. Ils portent essentiellement sur le tempérament (41,9% des cas), la sollicitation (38,7% des cas) et les troubles de l’alimentation (45,2% des cas). La triade alimentation-tempérament-sollicitation observée 24 heures après l’hospitalisation indique l’existence de réels changements du comportement induits par l’expérience de l’hospitalisation de jour et par l’intervention. Les enfants opérés des végétations, qui sont aussi les enfants les plus jeunes, sollicitent plus leurs parents.

Au septième jour les troubles portant sur le tempérament et la sollicitation se maintiennent chez respectivement 29 et 19,4% des enfants. En revanche les troubles portant sur l’alimentation ne sont plus notés que chez 6,5% des enfants. Kotiniemi (6) a étudié sr un mois les changements comportementaux chez 90 enfants subissant une adénoïdectomie et/ou une pose d’aérateurs en chirurgie de jour, à l’aide du PHBQe. Le taux de changements qualifiés de problématiques notés au moins une fois était de 61%. Le groupe le plus exposé était celui des moins de trois ans et demi. Des pourcentages comparables sont cités par Kain : 54% des enfants présentaient des troubles comportementaux deux semaines après (7).
Dans le même collectif de 551 enfants étudié par Kotiniemi (8) les trois éléments qui prédisaient l’apparition de troubles comportementaux étaient la douleur au domicile, le jeune âge, et une mauvaise expérience antérieure de soin.

Dans notre étude tous les enfants recevaient une prémédication par le midazolam, qui produit une anxiolyse et une amnésie antérograde. On sait que l’anxiété de l’enfant et du parent dans la salle d’attente avant l’opération est un bon prédicteur de troubles comportementaux postopératoires (7). Mais l’effet protecteur d’une prémédication anxiolytique et amnésiante vis-à-vis de l’apparition de troubles comportementaux a été peu étudié. Kain (2) a montré que les changements comportementaux négatifs étaient significativement moindres chez les enfants ayant reçu du midazolam (0,5 mg/kg). Dans notre étude la prémédication par le midazolam ne suffit pas à prévenir la survenue de troubles comportementaux chez une grande partie des enfants. Mais l’absence d’un groupe non prémédiqué ne permet pas de juger de l’efficacité de la prémédication.

L’adénoïdectomie telle qu’elle est décrite dans des publications récentes d’origine nord-américaine ou finnoise est assez différente de la technique française, ce qui rend les comparaisons difficiles. La technique la plus employée pour adénoïdectomie en France est une anesthésie inhalatoire avec ou sans prémédication. La majorité des enfants ne sont pas intubés (9).

L’analgésique le plus souvent employé est le paracetamol, médicament de niveau1. Dans les récents travaux finnois, le protocole anesthésique comprend du fentanyl (niveau 3), réinjecté à la demande en SSPI (4). Le protocole analgésique comprend également un anti-inflammatoire non-stéroïdien (10). La durée moyenne de l’intervention est plus longue que ce qui est couramment observé en France, avec une durée moyenne de vingt minutes (10-42).

Au delà des différentes échelles d’évaluations, il nous a semblé que la rencontre et le témoignage des parents constituaient d’authentiques apports à ne pas négliger. A ce titre, nous avons été frappés par le trouble ressenti par certains parents devant le comportement qu’ils observaient chez leur enfant. Ils nous ont ainsi raconté qu’après l’intervention, leur enfant leur était apparu comme plus “capricieux”, plus “coléreux” voire màme comme “agressif”. Or ces parents n’étaient pas avertis de la possibilité de ces changements, de leur lien avec l’expérience singulière que vivent les enfants, ni de leur caractère transitoire. Rappelons que pour ces jeunes enfants l’hospitalisation de jour est une expérience unique, qui constitue souvent la première rupture avec les parents et le milieu de vie. Cette étude préliminaire pose la question du lien entre les troubles comportementaux observés et l’expérience vécue par l’enfant. Elle devrait être complétée par un recueil simultané de données sur la douleur, la prise d’analgésiques au domicile, et les troubles comportementaux. Il sera ainsi possible de faire la part de la douleur non prise en charge, et des autres facteurs relevant de l’environnement de l’enfant opéré, dans ces troubles comportementaux.

BIBLIOGRAPHIE

1) Wolff AR, “Tears at bedtime : a pitfall of extending day-case surgery without extending analgesia”, British Journal of Anesthesia, 1999 ; 82 (3) ; 319-320.
2) Kain Z Mayes LC, Shu-Ming Wang, Hofstadter MB, “Postoperative behavioural outcomes in children. Effects of sedative premedication” Anesthesiology, 1999 ; 90 : 758-65.
3) Vernon DTA, Schulmann JL, Foley JM, “Changes in children’s behavior after hospitalization. Some dimensions of response and their correlates” American Journal of Diseases of the Child, 1966 ; 111 ; 581-93.
4) Nikanne E, Kokki H, Tuovinen K “Postoperative pain after adenoidectomy in children” British Journal of Anesthesia, 1999 ; 82 (6) ; 886-89.
5) Kotiniemy LH, Ryhänen PT, Valanne J, Mustonen A, Poukkula E “Postoperative symptoms at home following day-case surgery in children : a multicentre survey of 551 children” Anesthesia, 1997 ; 52 ; 963-69.
6) Kotiniemy LH, Ryhänen PT “Behavioural changes and children’s memories after intravenous, inhalation and rectal induction of anaesthesia” Paediatric Anesthesia, 1996 ; 6 ; 201-07.
7) Kain Z, Mayes LC, O’Connor TZ, Cicchetti DV “Preoperative anxiety in children : predictors and outcomes” Archives of Pediatric and Adolescent Medicine, 1996 ; 150 ; 1238-45.
8) Kotiniemy LH, Ryhänen PT, Moilanen IK “Behavioural changes in children following day-case surgery: a 4-week follow-up of 551 children” Anesthesia, 1997 ; 52 ; 970-976.
9) Mercier C, Gouchet A, Laffon M “Anesthésie pour adénoïdectomie et amygdalectomie chez l’enfant” Conférences d’actualisation 1999, 41ème Congrès national d’anesthésie et de réanimation, Paris Elsevier 1999.
10) Tuomiletho H, Kokki H, Tuovinen K “Comparison of intravenous and oral ketoprofen for postoperative pain after adenoidectomy in children” British Journal of Anesthesia, 2000 ; 85 (2) ; 224-27.