F. Lassauge – Unité Douleur – CHU Besancon
E. Fournier-Charrière – Unité Douleur – CHU Bicêtre

INTRODUCTION
La prise en charge évaluative et thérapeutique de la douleur de l’enfant, permet aujourd’hui de voir apparaître à la fois des antalgiques maniables et adaptés et d’élargir les A.M.M. de produits plus anciens réservés jusqu’ici à l’adulte.

LE PALIER 2 EN PÉDIATRIE
Le palier 2 a été peu représenté et utilisé en pédiatrie en raison d’une absence de présentations adaptées jusqu’à récemment.

La place du palier 2 en thérapeutique antalgique n’est pas encore bien définie et se limite au post-opératoire en relais de la voie veineuse et à de trop rares prescriptions en médecine. Le palier 2 est sous-utilisé pour des raisons mal définies (insuffisance de connaissances, préférence des utilisateurs pour l’association de plusieurs médicaments du palier 1 en alternance). Les AINS ont pris une place prépondérante en thérapeutique antalgique et une certaine vigilance doit être observée au vu des effets secondaires indésirables qu’ils entraînent, notamment en utilisation prolongée.

La codéine est le seul antalgique de palier 2 possédant une A.M.M. pédiatrique dès l’âge de 1 an par voie orale. Les indications les mieux codifiées concernent le post-opératoire (chirurgie ambulatoire en relais de la voie veineuse). Les indications en traumatologie et en pédiatrie médicale restent encore mal connues que cela soit en milieu hospitalier comme en milieu libéral.

La nalbuphine est très largement utilisée (A.M.M. à 18 mois avec une utilisation dès la naissance pour de très nombreuse équipes), si l’enfant possède une voie veineuse (urgences, péri-opératoire, soins intensifs, service de pédiatrie).

Le dextropropoxyphène et le néfopam n’ont pas d’A.M.M. avant 15 ans, cependant on note une utilisation assez courante du dextropropoxyphène chez le grand enfant, jugé par certains plus puissant que la codéine et entraînant moins d’effets indésirables.

Le tramadol
Ce produit a été commercialisé en France sous 3 formes réservés pour la forme orale à libération immédiate et la forme injectable aux patients de plus de 15 ans (1997), pour la forme à libération prolongée à l’enfant de plus de 12 ans (1999).

Ce produit n’a pas actuellement de présentation pédiatrique en France, alors qu’il est utilisé dans d’autres pays européens chez le petit enfant (âge > 1 an). Une demande d’A.M.M. pour la solution buvable est actuellement en cours pour l’enfant à partir de 3 ans ainsi qu’une extension d’A.M.M. pour la forme injectable.

PHARMACOLOGIE
Le chlorhydrate de tramadol, est une molécule originale par son action agoniste sur les récepteurs morphiniques et son action inhibitrice sur la recapture de la sérotonine et de la nor-adrénaline liées à la présence de 2 isomères à activité pharmacologique distincte.

Ces propriétés expliquent l’efficacité du tramadol dans les douleurs d’origine nociceptive comme dans les douleurs neuropathiques.

Pharmacocinétique
Proche de celle de l’adulte, la demi-vie est de 5 à 6 heures et l’élimination est rénale sous forme métabolisée pour 80 % et tramadol inchangé pour 20 %.

L’effet antalgique par voie orale apparaît en moins de 30 minutes et se prolonge pendant environ 4 heures.

Effets secondaires
Les nausées et vomissements peuvent être prévenus par l’administration de metoclopramide ou de phénothiazine, par contre pas d’efficacité de l’ondansétron (voir diminution du pouvoir analgésique du tramadol en cas d’utilisation simultanée : De Witte)

Pour l’ensemble des études, le pourcentage de nausées et vomissements varie de 3 à 30 %.

Les autres effets indésirables les plus courants sont, comme pour tous les opioides : la dépression respiratoire, la sédation, la constipation.

Posologie
1 à 2 mg/kg 3 à 4 fois /24 heures sans dépasser 8 mg/kg/24 heures, ceci pour les formes injectables comme orale à l’exception de la forme retard orale.

REVUE DE LA BIBLIOGRAPHIE
Les études réalisées toutes confondues concernent pour l’efficacité antalgique et la tolérance du produit plus de 1500 enfants. La plupart ont été réalisées en post-opératoire en dose unique ou répétées pour la voie injectable et en relais de la voie veineuse ou en l’absence de voie veineuse pour la forme orale.
La synthèse bibliographique présentée ici concerne uniquement les enfants et uniquement la période per ou post opératoire.

Voie veineuse
L’ensemble des études réalisées en post-opératoire concluent à l’efficacité du tramadol en péri-opératoire comparable et /ou supérieure à celles des antalgiques de palier 2 et de certains A.I.N.S., et supérieure dans toutes les études au paracétamol et au placébo. La tolérance est satisfaisante avec une sécurité supérieure à celle des antalgiques du palier 3 et de la buprénorphine.

  • Bosenberg 1998 : sécurité du tramadol 1 ou 2 mg/kg versus pethidine, efficacité antalgique comparable avec effets dépresseurs respiratoires moindres.
  • Macarone, 1998 : efficacité et bonne tolérance du tramadol 2mg/kg au décours de l’amygdalectomie en pédiatrie, le protocole comportait une dose I.V. à l’induction, une dose I.M. en SSPI, puis une dose per os 6 heures après la fin de l’acte opératoire.
  • Ozkose pour la même indication est satisfait d’une posologie de 0,5-1 mg/kg administré à l’induction.
  • Chiaretti 2000 : étude de l’efficacité de l’analgésie préventive par le tramadol en neuro-chirurgie : bolus ou infusion continue versus fentanyl infusion continue. Analgésie par infusion continue plus efficace, nausées-vomissements plus importants dans le groupe bolus. Analgesie par le fentanyl supérieure à celle obtenue avec le tramadol.
  • Griessinger 1997 : sur une série de 17 enfants, présente le tramadol en infusion continue comme un choix simple et sûr pour l’analgésie post-opératoire en service d’hospitalisation classique.
  • Van den Berg 1997 : étude sur 152 enfants et jeunes adultes intérêt identique du tramadol et de la nalbuphine versus pethidine en pré-opératoire avant amygdalectomie sur le plan de la tolérance respiratoire, efficacité antalgique supérieure du tramadol versus placebo.
  • Fan 2000 : intérêt en chirurgie ambulatoire sous sévoflurane : 1mg/kg en fin d’intervention (moins d’agitation au réveil).
  • Pendeville 2000 : meilleure analgésie post-opératoire avec tolérance identique après amygdalectomie du tramadol 3mg/kg versus propacétamol 30 mg/kg.
  • Viitanen 2001 : tolérance identique pour placebo versus tramadol 2 mg/kg à l’induction anesthésique avec meilleure efficacité antalgique pour le groupe tramadol en SSPI après adenoidectomie.
  • Courtney 2001 : diclofénac versus tramadol après amygdalectomie : efficacité et tolérance identiques.
  • Schaffer 1986 : nalbuphine versus tramadol : efficacité et tolérance identiques en post-opératoire sans précision des interventions chirurgicales (30 enfants par groupe).

Voie épidurale
L’intérêt du tramadol par voie épidurale n’est pas prouvé, que celui-ci soit utilisé en complément ou en remplacement des anesthésiques locaux, à l’exception de l’étude de Senel.

 

  • Prosser, 1997 : pas de prolongation de l’effet de la bupivacaine si adjonction de tramadol 2mg/kg.
  • Batra, 1999 : efficacité identique pour analgésie post-opératoire après cure d’hypospadias de tramadol 1 mg/kg versus bupivacaine 0,25 % (0,5 ml/kg).
  • Murthy, 2000 : passage plasmatique rapide si administration par voie épidurale (étude sur 14 enfants).
  • Oczengiz, 2001 : efficacité et tolérance identique de tramadol 2 mg/kg et de morphine 0,03 mg/kg par voie caudale après cure de hernie inguinale.
  • Gunduz, 2001 : efficacité comparable de la bupivacaine et du tramadol administrés isolément, pas d’ augmentation de la durée d’action lorsque les 2 produits sont administrés simultanément.
  • Senel 2001 : retrouve une potentialisation de l’analgésie lorsque le tramadol et la bupivacaine sont utilisés conjointement.

Voie orale

  • Finkel 2002 : étude sur 81 patients âgés de 7 à 16 ans de l’efficacité et de la tolérance d’une dose de tramadol de 1 ou 2 mg/kg en relais d’une PCA morphine en post opératoire ; la dose de 2 mg/kg procure une meilleure analgésie sans augmentation des effets indésirables.
  • Roelofse 1999 : étude sur 60 enfants, en prémédication le tramadol 1,5 mg/kg est supérieur au placebo après extractions dentaires multiples sans effets secondaires en terme d’efficacité avec tolérance identique.
  • Payne 1999 : efficacité et bonne tolérance des gouttes de tramadol (3 mg/kg) après extractions dentaires en ambulatoire chez 40 enfants.

PLACE DU TRAMADOL EN PÉDIATRIE
Le tramadol, encore peu utilisé en pédiatrie du fait de l’absence d’autorisation devrait trouver une place parmi les antalgiques du palier 2 chez l’enfant. L’intérêt d’une forme injectable et d’une forme orale permettra une simplification de la prescription.
Les indications sont représentées par les douleurs d’intensité moyenne à forte rencontrées dans diverses situations :

 

  • douleurs aiguës : post-opératoire, traumatiques, brûlures, et pathologie médicale (O.R.L., maxillo-faciales et bucco-dentaires, ostéo-articulaires…),
  • douleurs chroniques : douleurs neuropathiques de l’enfant (neuropathies périphériques, handicap, sida,cancérologie), et douleurs nociceptives en cancérologie, rhumatologie, en excluant les céphalées…).

L’intérêt du tramadol parmi les antalgiques utilisés en pédiatrie concerne :

  • pour la voie orale, indications de la codéine, mais indications peut-être élargies en particulier en hématologie et oncologie du fait d’une puissance probable supérieure et en raison des douleurs mixtes fréquemment rencontrées dans cette population,
  • pour la voie veineuse, indications de la nalbuphine, cependant pas de supériorité prouvée du tramadol,
  • son originalité de par son efficacité sur les douleurs neuropathiques devrait permettre de lui trouver une place à part et demande à être évaluée.

CONCLUSION
Le tramadol est un antalgique dont l’avenir en pédiatrie est lié à l’obtention prochaine d’une A.M.M. pour la forme orale buvable dès l’âge de 3 ans et à l’extension d’A.M.M. pour la forme injectable chez l’enfant de moins de 15 ans. Sa puissance antalgique et sa bonne tolérance en font un produit intéressant pour la pharmacopée antalgique de l’enfant.

 

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